Traversée

Traversée
Moon, Leonid Tichkov

vendredi 30 janvier 2015

La traversée de l'en bas


Le livre dont je vais vous parler aujourd'hui s'intitule "La traversée de l'en-bas" écrit par Maurice Bellet. M.B. a pu côtoyer dans sa pratique de psychanalyste, de philosophe, de prêtre aussi, ce qu'il peut y avoir de monstrueux dans la vie des humains, et peut-être le plus noir : le mépris pour soi, jusqu'à la haine et au goût de se détruire. Tout en bas est bien entendu relatif à un en haut, à une plénitude supposée, un plein de sens. Quelle figure ce dernier peut-il prendre pour qui est englué, pensée et actes, conscience et instincts, dans la honte, la haine et la peur ? Pour l'auteur, chacun passe au cours de sa vie par ce qu'il nomme l'en-bas : la déchéance, l'inavouable, le monstrueux, la dépression, la trahison, la folie, le meurtre, l'exclusion, la maladie ou la détresse. Mais ces situations peuvent être l'occasion d'une création et d'un rapprochement avec les autres, et cette fonction ne doit pas être évacuée de la vie humaine. A travers les critiques, le résumé et les extraits que j'ai lu de ce livre, je pense que c'est un bouquin que je voudrais beaucoup lire, d'autant plus la vive relation avec le thème de traversée.
La dépression, la trahison, l'inavouable, la vie broyée, la déchéance, la folie, le meurtre, l'exclusion, la maladie : voilà l'en-bas selon l'écrivain. En chacun de nous, des portes dérobées donnent plus ou moins sur ces arrière-cours. Vivre se fait dans la traversée de ces abîmes ou se défont beaux discours et belles spiritualités. Il y a pourtant de l'humain dans ces régions-là. Et rêver de passer à côté ou au-dessus d'elles fait sortir de la condition humaine et mène au pire. En ces bas-fonds une création peut commencer et l'on devient proches les uns des autres. La grande tâche est d'éduquer des humains capables de supporter le chaos intérieur, la vie sans repères dans un paysage inconnu, la marche sans arrêt dans l'équilibre. Désormais, le seul Dieu que nous pouvons supporter n'est pas celui des hauteurs mais celui qui descend dans l'en-bas. C'est là que doit advenir ce qui met fin à l'inhumain ou nous sommes. Une parole, un geste, une lueur. Alors peut commencer la traversé de l'en-bas. Voilà un livre décapant pour tenir dans les jours sombres, loin des marchands de bonheur et d'illusions. 

Voici un extrait du livre de Bellet que je trouve très intéressant :


"Si vous glissez de l'en bas, le monde où vous habitez disparaît, les ennemis et compagnons se dissolvent dans la nuit. Et l'on ne revient pas. Seul espoir - au delà de tout espoir : traverser. Car c'est ici la mort de toute sagesse, de toutes les sagesses et cultures et traditions du monde. Toutes, elles ne parlent que pour ceux d'en haut, ceux qui montent, ceux qui aspirent, ceux qui savent - et leur non-savoir lui-même est la suprême science. Ils sont nobles. Les sages, les saints, les héros, les penseurs, les créateurs, les hommes de bonne volonté. Toute leur humilité, toute leur modestie n'y change rien. Même s'ils disent, pieusement, qu'au contraire ils descendent, qu'ils sont de plus en plus pauvres, démunis, déliés de tout avoir et de tout savoir, allons, allons, ils sont tout de même sur la bonne voie, ils sont tout de même du bon côté. Mais l'en bas est déchéance. L'être humain réduit là se connaît méprisable, défait, hors chemin, maudit. Il est dans l'inavouable. Il est dans une des cases maudites : la folie, la décrépitude, le crime, l'échec (le grand, la vie ratée), le mensonge. Même si l'on a pitié de lui, c'est une pitié armée et défensive : il ne s'agit pas de glisser en bas - là ou il vit. Qui est en bas ? Qui le sait ? Il y a tant de beaux édifices avec quelque part, dans une arrière-cour, la porte dérobée qui donne sur cette cave-là. [...] Peuple étrange, où peuvent se rencontrer ceux et celles qui sont apparemment les plus opposées : les grands privilégiés et les plus démunis. Ceux qui ont de quoi manger, se loger, se vêtir, se soigner, et qui ont une foi, l'amitié et l'amour, la pensée, l'oeuvre bonne. Et ceux à qui tout cela manque. Pourtant proches : ils habitent l'en bas. Oui, même ces privilégiés, si, au cœur de leur vie, il y a cette part secrète où ils communient à la détresse innommable. Et les plus démunis, en revanche, peuvent jusqu'en la pire détresse communier à ce je-ne-sais-quoi qui surpasse toute idée, toute image, tout discours, mais fait que, à s'approcher d'eux, on est touché de la lumière. Proches ! Ils peuvent dire "nous' sans mentir. C'est un peuple sans nom, sans patrie, sans drapeau. Ils portent l'énergie formidable qui naît en bas lorsque l'humain de l'humain émerge de la grande mort - prodigieuse naissance. C'est un genre d'hommes, hommes et femmes, littéralement revenus de la mort : ils y ont goûté, elle les a transpercés : quelque chose est advenu, qui est impérissable. Le vieux rêve d'immortalité, dont toutes les figures ont disparu, prend chair en cette humanité, hors de tout savoir et de toute prétention. Appui sans appui, fermeté qui ne tient à rien, grand vide où tout peut venir à fruit. Le signe, le fruit, le geste, c'est cette tendre et inguérissable douceur de la plus que compassion et du plus que pardon, cette étrange et divine douceur plus forte que le plus fort alcool, plus dure au combat que les héros d'Homère. Car c'est un combat, c'est une lutte âpre et sans merci. Et c'est douleur. Tout demeure de l'en bas. Et le fruit de la traversée, c'est d'en donner une perception aiguë, intolérable. Ah, comme il faudrait que tout soit autrement ! Et que nous soyons autres ! Mais la paix profonde doit demeurer, sous les vagues et sous l'ouragan. Ce peuple-là, nous autres, les revenants des terres froides, pour les justes et les savants, nous sommes des gens étranges, des barbares, des incompréhensibles qui parlons une langue qu'ils ne comprennent pas. Serions-nous le sel de la terre ? Voilà bien une prétention qui nous fait rire. Et pourtant, il est vrai que, comme le sel, nous donnons du goût - à la vie? Ô toi, qui que tu sois, si profond soit l'en bas, si dure la déréliction, si humiliant ton vice, si triste et sans but la vie qui te reste à finir de vivre, si du moins tu gardes en l'espace le plus secret de ton cœur, là-même où tu ne sais pas, un peu de cette lumière, un peu de cet espoir qui te sépare de la grande mort, un désir, un amour obscur, une foi sans mot sans visage, si du moins commence en toi (sans même que tu le saches) la lointaine aurore d'humanité, alors, frère, sœur, tu es des nôtres."La traversée de l'en-bas, pp. 12-13 : 153-156


Sourceshttp://www.franceculture.fr/oeuvre-la-travers%C3%A9e-de-l-en-bas-de-maurice-bellet.html
http://www.amazon.fr/Travers%C3%A9e-len-bas-Maurice-Bellet/dp/222748666X
http://belletmaurice.blogspot.com/2013/02/la-traversee-de-len-bas.html
http://www.nrt.be/fr/La-travers%C3%A9e-de-l%27en-bas-recension-6757

2 commentaires:

  1. il est donc question ici du retour d'une aventure humaine où l'âme souffre, ou si on préfère, où les blessures identitaires sont profondes.
    pourquoi y a-t-il un paragraphe en gris et le reste du texte en noir ?
    le fait d'ajouter des guillemets à l'extrait suffit et il n'est pas nécessaire de changer le caractère.
    quelques petites corrections et j'en oublie peut-être, le texte est long :
    • il faut toujours accentuer les capitales : À travers…, Ô toi, …
    • il manque les espaces après le point dans l'extrait.

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  2. "...je voudrais beaucoup lire, d'autant plus + que j'y vois une (la) vive relation avec le thème de traversée.... commencer la traversé+e de l'en-bas. Voilà un livre décapant vers lequel aller / se tourner / à consulter (et non : pour tenir) dans les jours sombres..."
    N.

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